Devanture de la Barque

À la Barque, le temps d’un Café Causé

Temps de lecture : 8 minutes

La Barque est un café associatif que je découvrais l’année dernière, le temps d’une boisson chaude, entre deux confinements. Le café situé au 118 rue Colbert, entre un Turkish Kebab et l’angle de la petite rue Auber, est un lieu ouvert à tous, à l’accueil inconditionnel, mais dont la clientèle provient en grande majorité de la rue. En somme, il est un lieu qui devient un accueil pour les invisibles, pour ceux à qui beaucoup ne prêtent plus attention, parce que noyés dans une masse qui ne prête plus attention à la précarité.

Aujourd’hui, le vendredi 6 mai, j’ai été convié à la nouvelle réunion que le café anime mensuellement. Il s’agit du Café Causé. Au cours de l’été dernier, la création de l’événement apportait une réponse à divers troubles survenus la même période : entre les murs, le cambriolage du café ; à l’extérieur, des regroupements intempestifs, à l’origine d’ennuis chez les commerçants voisins. Son nom, il provient d’un café cousin de la Barque : le Café Causé, dans le troisième arrondissement de la cité phocéenne. Son essence, offrir à ses parties prenantes la possibilité de s’exprimer de s’écouter dans un cadre sécurisé.

Ma montre affiche dix heures passées de trente minutes et la vitrine est à demi fermée comme un rideau de fer qui sépare la Barque du reste du monde. Les petits néons enfoncés dans le plafond remplacent le disque solaire qui roule sur cette belle matinée de printemps. Entre les murs décorés de posters, photographies et bibliothèques, les visages illuminés des personnes présentes pour le Café Causé s’observent. De larges sourires sont accrochés aux lèvres, témoignage de l’impatience des premiers échanges. Derrière le bar, la machine à café est éteinte. Sur les tables couleur pastel qui ont été disposées dans la longueur, on trouve des gâteaux tantôt faits maison, tantôt industriels, une bouilloire, des sachets de thé et du café soluble. Dans un coin, le petit ordinateur ronronne et vient de se mettre en veille.

Enfin, la réunion commence, le Café Causé est lancé. Tout le monde se présente. Les prénoms s’enfilent les uns après les autres, d’une voix faible et timide pour les plus discrets, d’une voix forte et audacieuse pour les plus bruyants. Il y a Nicolas, Dominique, Hervé, Manu, Pascal, Camille, Flora, Alain, François, France, Gabriel et quelques autres encore.

Nicolas, médiateur salarié de la Barque, prend la parole pour donner l’ordre du jour. Debout, serré entre le bout de la dernière table et la vitrine, il se tient droit. Sa voix porte et résonne dans la salle. On l’écoute comme on écoute un orateur.

« On devait commencer par le tour de table. Déjà fait », s’amuse-t-il.

Il reprend un air plus sérieux et annonce qu’il y aura les synthèses des trois groupes de travail constitués à l’issue de la précédente édition : les évolutions du Café Causé, l’installation de la terrasse, la préparation de la brocante. Ensuite, il sera évoqué le projet de ravalement de la façade du café. Enfin, on fixera la date du prochain Café Causé et on rangera la salle.

D’un large sourire, il balaie toute l’assemblée. Puis, il lance le premier sujet. L’agora est prête à s’exprimer.

Vues de la Barque, les évolutions du Café Causé

Dominique est une bénévole de la Barque. Elle est assise au milieu de la grande tablée. D’apparence retraitée, elle a des cheveux courts et un visage aux formes délicates. Derrière ses grandes lunettes rondes, elle arbore un visage halé, comme noyé de soleil. D’une voix douce et sérieuse à la fois, elle rapporte à l’assemblée le fruit de son groupe de travail : les évolutions du Café Causé. Elle nous propose comment ne pas reproduire les ambiances parfois animales des dernières éditions. Dans une leçon civique qui nous rappelle les règles de bonne conduite, elle nous expose comment rendre le Café Causé plus convivial.

« Parole fluide et libérée ».
« Propos cohérents et mesurés ».
« Cadre sécurisé pour la parole ».

Elle déroule ensuite une liste de critères. Entre chaque terme, elle prend une pause pour s’assurer qu’aucun ne se désintéresse de son exposé.

« Respect ».
« Bienveillance ».
« Temps collectif ».
« Pas de conversation privée ».
« Proposition constructive ».
« Ouvert au groupe ».

Elle conclut en expliquant qu’en défaut de consensus, et à l’image des réflexions réalisées depuis le dernier Café Causé, un groupe de travail pourra être constitué.
Nicolas reprend la parole pour proposer un tour de table. Dans un souci démocratique, chaque exposition des groupes de travail est commentée, validée ou refusée par l’assemblée. Chacun son tour, on prend la parole. Tous sont favorables aux idées de Dominique. Tous prennent conscience de la place du savoir-être lors d’un tel exercice.

La terrasse

Hervé est un habitué du café. Entre deux âges, il est un personnage au visage fin, creusé dans les joues, et à la chevelure poivre et sel qui lui tombe sur le cou. Il porte une veste kaki, un peu large, qui flotte sur ses maigres épaules. D’une voix limée mais franche, il nous explique le règlement que son groupe désire proposer pour l’installation de la terrasse. « En fait, le règlement à l’intérieur sera le même qu’à l’extérieur », conclut-il. Sous-entendu, Hervé rappelle que la Barque n’est pas un lieu où l’on peut consommer drogue ou alcool, ni même rouler un joint.

« On peut fumer dehors quand même ? » demande un habitué d’un air inquiet. On lui répond que oui, tant que ça reste du tabac.

D’autres prennent la parole. On précise qu’il faut éviter les attroupements, qu’il faut rester respectueux vis-à-vis des commerçants et de leurs chalands. « Pas de problème avec la Police ou les voisins », rajoute un membre de l’assemblée. Chacun acquiesce. Après tout, les habitués du café sont responsables de leur comportement, et par prolongement, de la bonne tenue du lieu.

Flora, la présidente de l’association qui gère le café, prend la parole. Elle est une femme d’une trentaine d’année, aux cheveux sombres et au visage épais. « On a eu le placier. Il ne nous autorise pas plus d’un mètre. On ne pourra mettre qu’un banc. Mais on peut le mettre dès midi ». Des rires secouent la salle. Un mètre, un banc. Ils ne font rien pour aider les clodos en fait.

À nouveau, Nicolas propose un tour de table. Personne n’a grand-chose à ajouter. Au-delà du rideau de fer, chacun guette la langueur des rayons solaires qui piquent le pavé de la rue Colbert. À midi, on pourra siroter un café sur un banc.

L’une des bibliothèques de la Barque

La brocante du quartier Colbert

Pascal est un homme à la tête grise. Il dispose d’une forte corpulence. Sous son béret et derrière ses lunettes, on devine un visage rond, tantôt joyeux, tantôt grincheux. Ses mains sont fortes et brutales. Pascal est un ancien de la rue. Il se rend régulièrement à la Barque. Son groupe a planché sur la participation à la brocante du quartier lors du 15 mai prochain. Le jour du Seigneur, le jour des emplettes, le dimanche de sept à dix-neuf heures.

Le constat est simple. La cave du café dégueule d’antiquités. Un amoncellement de bibelots qui un jour ont trouvé refuge dans un trou désormais poussiéreux. Il faut faire de la place et il faut récolter de l’argent pour que l’association puisse proposer des animations. « Se prendre un créneau pour un Five, se réserver des entrées à la piscine, organiser un paintball, tout peut être payé par les ventes de la brocante », ajoute Flora. Tout le monde valide. L’idée est alléchante.

Gabriel, un trentenaire à la voix calme et au regard apaisé prend la parole. Il fabrique des bracelets qu’il aimerait vendre au cours de l’événement. « C’est la misère la manche. La brocante c’est bonne ambiance pour que les gens achètent. Ils prêtent attention. Si je peux me faire quatre cent cinquante balles de bracelets, ce serait cool », nous confie-t-il.

D’autres prennent la parole. Certains possèdent des objets qui traînent dans un squat ou dans un foyer. On se demande si on ne pourrait pas se servir du stand pour les vendre. « Non », scande Alain, un bénévole de la Barque, nouveau retraité et investi dans les lieux depuis presque deux ans. Il démontre l’impossibilité d’une telle idée.
« Chaque gars va vouloir vendre son truc. On va se retrouver avec plus d’objets qu’on a de place. Et surtout, comment on gère la négociation du prix ? Et la caisse » ?

Nicolas propose un tour de parole. Sans doute grâce à Dominique, les échanges sont calmes et mesurés. On pense au groupe avant de penser à l’individu. Chacun s’écoute et on comprend au bout d’une poignée d’échanges que : « Oui, Alain a raison, ça va être un vrai merdier sinon ».

France, une femme ronde aux cheveux clairsemés et aux yeux bleus comme le froid, aborde le sujet des crêpes. « On va préparer des crêpes. On pourra les vendre. Mais on affiche quoi comme prix » ? La question prête à rire. Gabriel demande la constitution d’un groupe de travail prix des crêpes. Puis il range son délicieux sarcasme pour proposer un euro cinquante. Honnête.

Nicolas conclut l’échange par un tour de table. Durant ce temps, je remarque cette femme discrète, effacée dans un recoin du café. De grandes paupières s’égarent sur ses yeux endormis. La tête penchée, son nez tombe vers une barquette de boulette de boeuf. Ses mains sont cachées sous la table. Elle ne remue pas. Lorsque c’est à son tour de parler, elle lève la tête, d’un mouvement lent et las. « Je n’ai rien à rajouter », ponctue-t-elle avant de s’en retourner à ses songes.

La devanture de la Barque

Flora reprend le cours des échanges en invoquant la devanture du café. La façade date peut-être du siècle précédent, alors le bureau de l’association propose de lui offrir un coup de neuf. À l’image de la devanture déjà présente, on suggère la pose d’un patchwork de créations. Aujourd’hui, de petites planches rectangulaires de bois peintes de différentes oeuvres décorent le contour de la vitrine comme un arc-en-ciel. Demain, on voudrait poursuivre ce travail et ainsi mélanger l’ancien et le nouveau.

Flora prend une pause pour évoquer l’ennemi numéro un des ravalements de façade français : les Architectes des Bâtiments de France — les ABF pour les intimes. « On peut pas non plus faire ce que l’on veut, faut être vigilant. On peut changer les planches en conservant les mêmes tons. Si on rénove de l’existant, on est bon ».

Manu, artiste à temps complet et habitué du café à ses heures perdues, est un homme dans la force de l’âge, d’origine portugaise, plutôt trapu, au regard aussi sombre que ses cheveux. À l’énonciation de ce projet, ses yeux scintillent d’une joie incongrue. Il propose de tout changer, il rêve de grands projets. Rapidement, on calme ses ardeurs et il finit par accepter que Flora dit vrai.

Un tour de table est à nouveau lancé par Nicolas. Une petite partie de l’assemblée ne se prononce pas, par manque de fibre artistique peut-être, sinon par désintérêt au sujet. L’autre partie, sans hésitation aucune, acquiesce d’un grand hochement de tête.

Régulièrement, le café reçoit des donations. Banque alimentaire, foyers d’accueil, ou bien même particulier. Aujourd’hui, la Barque a réceptionné plusieurs kilogrammes de fruits 

Et d’autres sujets

Alain poursuit et précise qu’il vient de déposer une demande de renouvellement de mobilier du café pour un montant de six mille euros. La ville de Tours a prévu pour l’année 2022 une enveloppe de cinq cent mille euros pour le financement de projets votés par les citoyens. On y propose un chantier de rénovation du skatepark de l’Île Simon ou encore la création d’une structure artistique pour le développement de la scène musicale tourangelle. On y propose aussi le renouvellement du mobilier de la Barque.

Au regard des tables et chaises vétustes sur lesquelles nous sommes installés, chacun félicite Alain de la démarche. Il nous précise qu’il nous tiendra informé des résultats des votes.

Enfin, la cérémonie touche à sa fin. Dans une ambiance presque collégiale, les discussions reprennent. Des informations s’échangent à nouveau. Camille, coordinatrice et salariée du café, quitte le navire le 27 mai prochain après quatre années de bons et loyaux services. On prévoit déjà un pot de départ, diverses festivités. « Achetez-lui du chocolat », scande François, l’un de ses collègues, animateur, d’un bout de la grande tablée.

Rapidement, on décide de la prochaine date du Café Causé. Les salariés de la Barque, munis de leur agenda papier, proposent le vendredi 10 juin. Personne ne bronche, ou alors plus personne n’écoute. De toute manière, la date sera affichée sur la vitrine.

Pour clore la conversation, Nicolas demande si quelqu’un désire aborder un autre sujet. « Ta ressemblance avec Julien Doré ? » lui suggère-t-on. Et les rires résonnent dans la salle qui, à l’ouverture du rideau, retrouve les couleurs naturelles du soleil.

Quelques liens

La Barque à Tours : Facebook et site Internet
Le Café Causé de l’association En Chantier à Marseille : Facebook et site Internet


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