Ufolep Tir à l'arc

Au vent du tir à l’arc

Temps de lecture : 7 minutes

Dans le ciel azuré qui survole la Touraine, le vent sec rappelle les chaudes journées d’été. Nous sommes pourtant au printemps, au beau milieu du week-end de la Pentecôte. À midi, le soleil hurle une température étouffante, inhabituelle pour une fin de printemps. Les oiseaux chantent et se promènent avec paresse, s’interrogeant peut-être à l’égard de cette chaleur.

Dans les calendriers, Alix et moi visons un évènement particulier. La section tir à l’arc de l’Ufolep (Union française des œuvres laïques d’éducation physique) organise ses championnats de France sur les terrains verdoyants du complexe sportif Henri Alary, à Azay-sur-Cher.

📸 Les photographies ont été capturées au Canon EOS 5D par Alix.

Une compétition nationale de tir à l’arc

À l’horizon, de vastes espaces occupés par l’ombre de lotissements dorment sous le regard circulaire d’un immense château d’eau. Un homme vêtu d’un gilet jaune nous oriente au fond d’un champ, transformé à l’occasion de cette compétition de tir à l’arc en parc de stationnement géant. Des voitures aux plaques d’immatriculation multiples occupent le terrain en friche. L’ambiance est chaleureuse et dominicale, identique à celle qui émane des agréables repas champêtres.

À l’entrée du complexe, les foules venues pour le tir à l’arc se bousculent dans un murmure joyeux. Des stands sont dressés pour quelques artisans qui étalent leurs bibelots : bougies, dessous de table, et autres t-shirts. En direction des stades où sont installées les zones de tirs, des haut-parleurs annoncent les volées. Beaucoup tiennent à la main des fauteuils pliables, aux couleurs éclatantes pour les plus récents, aux coutures élimées pour les plus anciens. Les organisateurs bénévoles portent des jerseys d’un bleu turquoise, les arbitres des jerseys d’un vert forêt, et les compétiteurs des chemises et polos aux couleurs éclectiques mais à l’effigie de leur club. 

Selon les badauds avec qui nous engageons la conversation, nous comprenons vite que l’ambiance Ufolep est une belle métaphore de la détente. « Ça n’est pas la compétition de la FFTA [Fédération française de tir à l’arc], on est venu pour s’amuser ici », nous confie le proche d’un compétiteur, un ancien à l’accent lointain, caché sous une casquette rouge et derrière une belle moustache.

Selon les bénévoles, 320 archers adultes et 120 archers enfants répondent présents. Presque autant d’accompagnateurs, familles, amis, curieux ou amateurs supportent les tireurs. Sur l’un des deux stades, les archers sont parqués derrière une barrière. Leurs armes sont posées au sol, certains bavardent cependant que d’autres observent attentivement la cible. « Le vent souffle sur cette partie du terrain, on a pas la bute pour nous protéger comme de l’autre côté », bougonne un concurrent. Nous progressons dans cette liesse, à la recherche de Kévin, en compétition pour la journée.

Kévin est un garçon proche de la quarantaine, au poil roux et à la peau germée de taches de rousseur. Sur ses jambes dénudées, des tatouages irisés colorent sa peau. Il porte une casquette et de petites lunettes de soleil. Derrière sa barbe, une bouche ronde aux lèvres pincées lui donne une expression franche et amicale.

Après les habituelles salutations, nous avouons à Kévin notre méconnaissance du tir à l’arc. Les seules expériences que nous entretenons de cette discipline sont les souvenirs de Robin des Bois ou des terribles portées des longbowmen du jeu vidéo culte Age of Empires II : The Age of Kings (1999). L’archer nous livre une poignée d’informations : le jeu est simple : les concurrents effectuent dix volées — comprenez dix manches — au cours desquelles ils tirent trois flèches chacun. Les flèches visent une cible fixe sur laquelle est attaché un blason circulaire constitué de dix zones, où la zone la plus centrée en jaune permet de marquer dix points et la zone la plus excentrée en blanc un point. Ainsi, il est possible d’enregistrer jusqu’à trente points par volée et 300 points au maximum.

Brèves de comptoir :

À observer les compétiteurs, nous remarquons d’étranges arcs équipés de poulies. Ils permettent une mise en tension plus facile que les arcs simples qui équipent la majorité des archers d’aujourd’hui. Nous interpellons un passionné à ce sujet. « Ils tirent en même temps mais il existe différentes catégories : en dehors de l’âge et du sexe, il y a celles des arcs simples avec visées et des arcs simples sans visées, puis celles des arcs à poulie avec visées et des arcs à poulie sans visées », nous relate-t-il.

Sur la verte pelouse baignée de soleil et qui accueille cette compétition de tir à l’arc, nous poursuivons nos échanges avec d’autres compétiteurs. Des femmes sont équipées d’un plastron voué à protéger le sein. « J’ai pas envie de finir comme une Amazone », m’explique l’une d’entre elles. « Moi, je n’en ai pas besoin », rigole une autre en dirigeant ses yeux vers son buste. Cet événement aux allures de grande fête de famille invite à la conversation. Je comprends que certains passionnés de tir à l’arc ont traversé la France pour se rendre à Azay-sur-Cher. On nous conte venir du Nord, de l’Aube, des Bouches-du-Rhône ou encore du Var. « L’année dernière, c’était à Pont-Rémy, dans la Somme. Une journée de voiture pour venir ». À Tours, la distance est moindre mais l’organisation nécessite toujours un vrai programme. Certains dorment à l’hôtel à Tours, tandis que d’autres préfèrent le charme des campings des villages voisins.

L’heure du déjeuner réveille les estomacs affamés. Plus loin, nous remarquons un grand stand où se déroule une queue longue de plusieurs mètres. Trois à quatre barbecues exhalent des volutes enivrantes, celles des saucisses et merguez qui crépitent sous la braise chaude comme l’été. Dans l’attente du démarrage de la compétition, Alix et moi échangeons euros contre jetons avant de nous insérer dans la file. Un homme ventripotent nous indique, non sans orgueil, venir du Finistère. Deux jeunes coiffés d’un magnifique bob Cochonou nous précisent venir d’Auvergne. Comme toujours, l’ambiance est la détente. Dans ce tumulte, une sensation de bien-être régale chacun des convives, peu importe son origine et sa fierté géographique. La France des problèmes semble échouée à des années-lumière d’Azay-sur-Cher. Sur la planète tir à l’arc, il est temps de profiter d’une vie courte et éphémère. Nous finissons par régler deux merguez et barquettes de frites puis, nous nous en retournons à la compétition.

Nous avons rejoint les barrières. Kévin, qui campe à l’arrière de la ligne 76, a commencé la compétition. Nous remarquons que chacune des lignes est partagée entre quatre archers qui tirent à tour de rôle. À chaque volée, les petits groupes approchent à quarante mètres de la ligne. Leurs regards visent le blason, la lueur de la concentration s’embrase. Tous s’alignent en bloc, le pied fort sur la marque de tir. Le corps pivote dans un léger mouvement latéral et s’inscrit dans un axe parfaitement perpendiculaire à la ligne. Le cou est tourné et les trois à quatre kilogrammes que pèse l’arc sont tenus avec fermeté. Dans un mouvement rituel, l’objet s’élève au niveau du regard. La pensée des archers ne fixe plus rien d’autre que le jaune, la seule et unique teinte qui remplit le petit cercle situé au centre du blason et rapportant dix points. Leurs bras se tendent et développent une force soudaine. La corde en tension permet à la flèche de reculer et aux tireurs de viser. Jusqu’au dernier instant, ils retiennent leur respiration. Les pieds ancrés dans le sol, le corps appartient à la terre, le tir à l’arc touche son acmé. Enfin, les cordes sont libérées. Elles se relâchent dans un son court, grave et stridulent. Les flèches se muent en armes fatales. Leurs pointes, scintillantes sous le soleil qui rutile, percent le vent. Nous supputons qu’une seconde leur est nécessaire pour parcourir les quarante mètres qui séparent un archer de sa cible, soit une vitesse de 144 kilomètres par heure.

Kévin tire ses trois flèches et, installé dans un fauteuil à nos côtés, son père surveille le cœur du blason à l’aide de ses jumelles. « Ça me permet de voir avec précision où est-ce qu’il rentre la flèche », nous dit-il. L’archer, déçu par sa performance, se retourne. « Je le sens pas, je vais pas scorer aujourd’hui. La faute au vent peut-être ».

Lorsque l’arbitre siffle la fin de la volée, les archers sont autorisés à rejoindre les cibles pour récupérer leurs flèches. Tous, sans leurs arcs, se dirigent en battue à quarante mètres de leur poste de tir pour évaluer les points et récupérer leurs munitions. Chaque score est habilement consigné sur un tableau et vérifié par les archers eux-mêmes. Si un point fait l’objet de houleux débats, l’arbitre intervient pour trancher.

Dans le ciel, le soleil continue de rouler. Les archers poursuivent leur compétition dans une organisation collégiale. Doucement, le temps nous rattrape et nous devons filer. Dans la soirée, Kévin nous envoie un message pour nous tenir informé de sa performance. Dans sa catégorie, il termine la compétition à la cinquième position.


Commentaires

2 réponses à “Au vent du tir à l’arc”
  1. Avatar de Vincent
    Vincent

    Merci pour ce partage qui se lit comme un roman, on s’y croirait !

    1. Avatar de Liliane BERTHIER
      Liliane BERTHIER

      Pour Simon
      Bravo pour ce récit, on se croirait sur les lieux , on vit toute la scène. De plus, l’élégance de ta plume me ravit.
      Merci à l occasion de me donner des nouvelles de mes neveux.
      Un bonjour à toi, Alix et Kevin.
      Amicalement.
      Liliane de St Cyr en Val

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