Sur les sentiers du Causse Méjean 🥾🌲

Temps de lecture : 8 minutes

Arthur sera Docteur d’ici la fin du mois. L’aboutissement de dix longues années de labeur entre les bancs de la fac et les différents services des hôpitaux qui vont faire de lui un médecin urgentiste à part entière. Pour fêter ça, il nous propose, Kévin et moi-même, trois itinéraires. Le premier dans les Pyrénées, le second dans le Languedoc, et le dernier dans les Cévennes. Peu de réflexions interviendront avant de nous décider. Nous partirons six jours dans les Cévennes, sur le Causse Méjean plus précisément, pour une boucle de cent quinze kilomètres en itinérance, et avec comme meilleurs alliés nos tentes, matelas et duvets.

Itinéraire

📅 6 jours
🗺 115 kilomètres
⛰️ 3 610 D+ et D-
🥾 177 560 pas
🏕 5 nuits en bivouac
📍 En boucle, à partir du Rozier (Lozère)
📸 Pellicules Kodak UltraMax 400 ISO avec un Olympus argentique OM-1n

📅 Dimanche

Nous atteignons le Rozier sur les coups de dix-sept heures. Le Rozier est un petit village d’une centaine d’âmes stratégiquement installé à la confluence du Tarn et de la Jonte, au pied sud-ouest du Causse Méjean. De ses vieilles pierres, le bucolique village du bout du Causse semble tout droit sorti d’une autre France, d’une France à laquelle nous ne sommes pas habitués et qui nous rend aussi joyeux qu’excités.

210328 – 44.19°N, 3.21° E – À la recherche des gorges du Tarn

Nous partons pour une durée de cinq jours, à arpenter les sentiers qui longent les immenses falaises du Causse Méjean. Nous n’avons pas prévu grand chose, pas de logement, pas d’étape, peu de nourriture. Nous comptons sur nos tentes, nos matelas et nos duvets, notre bon sens, ainsi que la générosité des locaux pour victuailles en l’échange de notre infinie sympathie.

📅 Lundi

Nos pieds cheminent entre les ruines et vestiges d’anciennes habitations et cultures en terrasse. Lorsqu’aucun d’entre nous n’est occupé à parler, nous prenons plaisir à écouter un silence dantesque, poétique, reposant. Nous évoluons à des années lumières de nos journées habituelles. Aucun des éléments observés ni des sons perçus m’évoque le boulevard Heurteloup sur lequel se situe mon appartement. Loin des ronronnements trépidants des moteurs qui dévalent les rues du centre-ville de Tours, je me fonds sur les premiers sentiers du Causse dans une symphonie où le divin silence rythme chacun de mes mouvements. Il devient un instrument phare, un instrument star.

210329 – 44.19°N, 3.21° E – Via Ferrata

L’après-midi est harassante. Nos corps tout droit sortis d’un hiver froid et humide ne parviennent pas à s’adapter aux températures chaudes et sèches, presque estivales, qui frappent les gorges du Tarn. La sueur ruissèle sur nos fronts rouges de soleil. Le sol calcaire réverbère les rayons d’un astre qui, perché à son zénith, nous inflige peines et douleurs.

Nous quittons le lit du Tarn pour nous aventurer sur les hauteurs du Causse Méjean, cinq cent mètres plus haut, cinq cent mètres plus proche de l’azur brulant. Le chemin est long et sinueux. Passé une certaine hauteur, peu de passages sont ombragés. Les nombreux lacets sur lesquels Kévin galope comme un Mustang témoignent de la rudesse du chemin. Chaque pas en avant nous invite à grimper quelques vingt centimètres. Cinq cent mètres de dénivellement nous demanderont deux mille cinq cent pas. La marche devient mathématiques.

210329 – 44.29°N, 3.25°E – Pause en lacets

📅 Mardi

Nous savions que le soleil cognerait. Nous savions que malgré le début du printemps, les températures en journée flirteraient avec les moyennes estivales. Mais nous ne savions pas qu’aucune des fontaines à eau, que ce soit dans les hameaux et villages de Rieisse, Rouveret, Montignac, ou Anilhac n’avaient pas été rouvertes depuis l’hiver.

En arrivant sur le parvis de l’église de Mas-Saint-Chély, la déception nous gagne à nouveau. Pas de robinet, celui du cimetière adjacent à à l’édifice religieux ne coule pas. Au loin, face à ce qui ressemble à un atelier municipal, un homme au ventre proéminent déjeune à bord de son véhicule de fonction, un Berlingot ou un Kangoo, un véhicule du genre. Mylène Farmer chante dans un auto-radio au volume réglé au plus fort. Génération Désenchantée. Désenchanté comme nos estomacs secs et déjà las d’avaler une énième boite de sardine accompagnée d’une flute devenue rassise.

210330 – 44.31°N, 3.39°E – Déjeuner

Mes pieds saignent. Ils pleurent de douleur. Chaque enjambée devient une peine considérable. Je marche sur un brasier, sur des tasseaux de verre. Pas de jaloux, le pied droit est aussi meurtri que le gauche. Deux immenses ampoules viennent de se percer, conséquence du frottement d’une peau salée de transpiration contre des chaussettes en laine Mérinos et une paire de chaussures dont le cuir ne s’est pas encore adapté à la forme de mes pieds. Je souffre, je boite, et j’avance à la vitesse d’un escargot. Le cliquetis de mes bâtons contre le sol karstique du Causse pénètre mes tympans et rythme mes pas lents, lourds, discontinus et maladroits. Par réflexe, mes articulations se bloquent face à la douleur des frottements. Ni mes chevilles ni mes genoux m’indisposent, mais d’une manière presqu’automatisée, mes articulations cessent de fonctionner pour limiter l’impact de mes talons sur le sol. Le corps humain est fascinant d’adaptabilité. Les garçons avancent devant moi, je les suis au loin. Je prends l’allure d’un robot et avance sans réfléchir. Je souffre.

📅 Mercredi

A peine une heure après le pli de notre camp, nous quittons la face nord du Causse Méjean pour nous enfoncer dans les terres. Ou plutôt, dans ce que nous pourrions appeler le Causse nu. Les pins qui poussaient sur les hauts précipices du plateau disparaissent et laissent entrevoir de minces terres agricoles. Quand la terre n’est pas cultivée, une végétation plus naturelle et plus proche du sol, constituée d’étendues de pelouses et de landes à buis et à genévrier, tente de se faire une place. L’ambiance devient si différente que l’on aurait l’impression de changer de région.

210401 – 44.27°N, 3.52°E – Avec Simon

Nous poursuivons notre avancée sur une surface aux allures de désert – nous nous amusons d’ailleurs à renommer cette plaine désertique située au nord de Nîmes-le-Vieux le Désert de Gobi. Si le vent ne s’engouffrait pas dans nos tympans, le silence serait roi. La seule trace d’un passage de l’humain est le chemin que nous foulons. Pas de construction, pas d’agriculture, pas de véhicules. Seuls trois marcheurs, face au vent. Le chemin, comme parfaitement tracé à la règle comparée aux derniers sentiers sinueux que nous empruntions, finira par basculer au-deçà des collines pour nous déposer à Villevieille. En attendant, nos pieds usés heurtent la rocaille. Nos yeux brulés par les rayons du soleil roulent le long des grandes plaines grisâtres où les phénomènes karstiques du Causse Méjean semblent avoir gagnés une longue bataille contre la végétation qui, peut-être, décorait jadis ces terres devenues chauves.

210401 – 44.23°N, 3.52°E – Le Veygalier

Vingt-deux heures. Je suis rentré dans ma tente. Assis en tailleur, j’enroule mon duvet autour de mon corps refroidi avant de saisir mon carnet et mon stylo. J’écris. Puis j’entends. Je l’entends. Un long hurlement, royal, majestueux, perçant. Le stylo s’échappe de mes mains, je relève la tête, je frissonne, de froid ou de peur, un mélange des deux probablement. « – Vous avez entendu ? – Oui. – C’est le loup ». Nous peinons à y croire. Nous venons d’entendre une créature des plus mystérieuses. Une machine à tuer. Une machine à fantasmes.

📅 Jeudi

Sur le chemin, je demeure attentif. Nous l’avons entendu hier, peut-être pourrions-nous le croiser aujourd’hui. Nous entreprenons plusieurs pauses pour observer les vautours qui voltigent au dessus de nos têtes. Nous nous demandons s’ils tournent autour d’une proie, d’un animal blessé. Nous nous demandons s’ils tournent autour d’une victime du loup. Depuis hier soir, nous ne pensons qu’à lui. Il monopolise nos conversations, nous plonge dans la crainte, dans l’excitation. Nous l’imaginons solide et fort, au regard menaçant avec un pelage gris qui doit lui offrir une belle tenue de camouflage dans les landes du Causse Méjean.

210402 – 44.21°N, 3.4°E – Causse très très nu

Notre déjeuner prend des allures de festin. Pain frais, quiches aux poireaux, chips, bières IPA made in Lozère, jambon sec, fromage de chèvre, gâteau aux amandes, oranges, fruits secs et café soluble. Jamais nous n’avions possédé une telle quantité de victuailles. Nos pieds endoloris toujours plongés dans l’eau froide de la Jonte, nous nous gavons comme des oies. Les mains sales, nous ne songeons même plus à respecter un ordre logique. Nous avalons des bouchées de quiches entre deux crocs d’un casse-croûte maison pain-jambon-fromage, nous terminons le paquet de chips après avoir dévoré l’orange, je coule un café alors que les garçons n’ont pas encore vidé leur bouteille de bière. Aucune place n’est laissée à la réflexion quand il s’agit d’accumuler des calories. Comme si nous étions revenus à l’âge de pierre, seules comptent la marche et la nutrition. La vie et la survie.

📅 Vendredi

Six jours que nous avons quitté le Rozier, les denses pinèdes que nous traversons nous font déjà oublier les paysages désertiques de la veille. Nous comprenons rapidement ne jamais avoir été aussi proche de la fin. Puis nous posons les pieds sur une avancée rocheuse, proéminente, fantastique, qui nous offre un balcon sans précédent sur le ravin de Cassagnes et les gorges de la Jonte. Face à nos yeux la route départementale D996 en direction de Meyrueis serpente au fond des gorges, le long de la Jonte qui alimente toute la vallée en eau. Le ciel bleu azur détonne avec les pins qui conservent un vert que les feuillus jalouse en ce début de printemps. La vallée est splendide. Taillée par des millénaires de mouvements tectoniques, de glaciations, de précipitations, et autres phénomènes que je n’ose imaginer, elle s’ouvre à nous tel un grand boulevard.

210403 – 44.2°N, 3.24°E – Ravin de Cassagnes

Les pinèdes qui recouvrent les contreforts des Causses rendent les constructions humaines presque impossible, l’Homme n’a pas vraiment sa place ici. La terre est sauvage. Gracieuse. Délicate. Au-delà de nos crânes réchauffés par le dur soleil, des vautours s’entraînent dans une danse circulaire. Le vent souffle peu, mais ils parviennent à prendre de l’altitude. Un simple mouvement d’ailes hisse aux cieux, pour jouer des courants chauds et froids, des terribles variations de températures et des vents d’altitude, pour profiter d’une nature qui nous apparaît incontrôlable. Puis, d’une manière presque hasardeuse, la horde vient délicatement planer au dessus de notre rocher. « Tu as vu les vautours quand tu les as entendus », nous contait Albin en début de semaine. A une poignée de mètres seulement, les ailes des rapaces bâtent le vent, propulsent l’air. Nous assistons à un vrai spectacle, une pure représentation. Dans leurs tourbillonnements, leurs corps plumés fendent les airs, laissant deviner un sifflement rare, unique, magnifique. Le sifflement de la nature. Un battement suffit à redonner de l’impulsion, à reprendre de l’altitude, à nous définir les contours d’une beauté sonore, d’une harmonieuse nature, d’un apaisement total. Il fait chaud, le soleil dégénère nos cerveaux et nous observons les oiseaux. Putain que c’est beau.


Commentaires

2 réponses à “Sur les sentiers du Causse Méjean 🥾🌲”
  1. Avatar de manuguerra
    manuguerra

    Merci pour ce partage qui donne envie d’y aller !! pour ma part Stevenson en juillet.

    1. Avatar de Swic
      Swic

      Avec plaisir 😉 j’ai emprunté une partie des chemins de Stevenson l’année dernière, tu vas te régaler !

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