05/11

Temps de lecture : 5 minutes

📅 Saint Jacques de Compostelle – Journal de bord – 05/11

📍 Hospital de Orbigó – Santa Catalina de Samoza
🥾 25.7
⏱️ 07:30
🌡️ Nuages
⛺ Albergue de Santa Catalina de Samoza
📋 Détail des étapes

Ce matin, c’est comme il y a deux jours. Deux choix s’offrent à nous : (1) poursuivre le long de cette horrible nationale 120 ; (2) emprunter des sentiers, plus longs en distance et en temps, mais qui nous évitent le tumulte de la route nationale. Et comme il y a deux jours, nous choisissons la seconde option. 

La pluie est de retour. Au bout d’une bonne heure de marche, et après avoir longuement  observé un arc-en-ciel qui dominait les collines voisines au chemin, nous voilà mouillés. Heureusement, nous arrivons rapidement chez David, un barcelonais de presque 40 ans, aux yeux bleus perçants, dont la vie a basculé il y a quelques années. Il a décidé de vouer une partie de son existence aux pèlerins de passage, en dédiant un lieu qu’il veut comme un lieu de repos et de rencontres pour les marcheurs en route vers la ville sainte de Compostelle. L’histoire est en réalité un peu plus complexe.

Chez David, La Casa de Los Dios
Chez David, La Casa de Los Dios

Au début du nouveau millénaire, le jeune barcelonais était chef d’entreprise dans le bâtiment, marié, et bon vivant : la vie d’un espagnol ordinaire. Mais la crise est passée par là et David s’est en un claquement de doigts retrouvé dans une situation financière délicate. Un claquement de doigts si hâtif, que tout a basculé d’une manière dramatique. Son entreprise termine en cessation de paiement, sa femme prend le large, il se retrouve plusieurs semaines sans ressource ni occupation, et bien trop rapidement, ses seules options de sortie deviennent l’alcool et la drogue. Un scénario digne des plus grands studios hollywoodiens.

Dans la quête d’un meilleur avenir, David entreprend alors un pèlerinage vers Saint Jacques de Compostelle. Sur le chemin, à l’endroit où nous sommes maintenant installés, était anciennement bâti un ferme. A l’époque, David décide d’y vivre pour une durée indéterminée. Pour s’occuper l’esprit, il commence en parallèle la réalisation d’un refuge Donativo dans lequel il proposera eau et nourriture pour tous pèlerins, comme lui, en chemin vers Compostelle.

L’ancien propriétaire de la ferme valide la situation. La ferme ne sert à rien et l’engagement de David est soutenable. Un accord oral est alors passé, selon lequel David peut rester, ne s’acquitter d’aucun loyer, mais doit proposer en retour un soutien aux pèlerins. Toutefois, au décès du fermier, les héritiers un peu plus avares demandent à David de quitter le terrain, ou d’acheter ce dernier pour une valeur de 10 000 euros. Sans le sou, le barcelonais n’a aucune solution à proposer. Il n’a pas d’économie, son activité Donativo ne lui procure aucun revenu, la banque ne lui prêtera jamais les 10 000 euros nécessaires. Seul un miracle pourrait changer la situation.

Ce miracle est arrivé de manière in extremis, quelques jours avant une expulsion, qui semblait au barcelonais de plus en plus proche. Une américaine dont David ne nous dira pas le nom, en route elle aussi vers Saint Jacques de Compostelle, s’arrête au refuge. Tous les deux discutent, comme David le fait avec chacune des personnes de passage. Il raconte une partie de son histoire. Mais avec l’américaine, c’est différent, elle veut en savoir plus. Elle se demande comment il est arrivé là, comment fait-il pour vivre ici, ce qui le pousse à être autant généreux. Finalement convaincue par les réponses et l’histoire de David, l’américaine conclut un accord.

Laisse moi terminer mon pèlerinage jusque Saint Jacques de Compostelle. Quand je serais rentrée aux États-Unis, je te promets de t’envoyer les fonds nécessaires à l’achat de cette ferme.

En l’espace de deux semaines, David a reçu les 10 000 euros promis par l’américaine. Il a acheté le terrain, sur lequel il vit encore aujourd’hui. Alors que nous sommes en train d’écouter son histoire, nous grignotons la nourriture qu’il nous met à disposition : café, lait, jus de fruits frais, biscuits, miel, oeufs, kiwis, oranges, pamplemousses et pain. Ce mec nous fascine par sa gentillesse, mais nous devons reprendre la route. Nous sommes installés depuis plus d’une heure, il s’agit d’avancer maintenant. 

A la reprise, Thomas et moi nous séparons. Je décide d’emprunter un sentier “hors Compostelle” pour gagner quelques kilomètres. A Astorga, la ville où je devais rejoindre Thomas, je me retrouve finalement seul. Il préfère rester dormir ici cette nuit. Pour ma part, je rejoins le marché du centre-ville, je fais quelques emplettes, je casse la croûte, et reprends la route. Ce soir, je dors à Santa Catalina, à quelques kilomètres de là. 

L’albergue de Santa Catalina n’a rien de bien différent des petites albergues sans prétentions comme on en trouve sur les chemins qui mènent à Compostelle. Un peu glauque, elle est tenue par deux gaillards, que je trouve accoudés, bière à la main au bar de l’albergue. Ils paraissent plutôt froid à première vue. Je tente un contact. Ils ont l’habitude des pèlerins, donc même si je ne parle pas un mot d’espagnol, ma dégaine leur fait rapidement comprendre que j’ai besoin d’un lit pour la nuit. 

Plus tard dans la soirée, je suis rejoins par une bande de quatre français. Nous discutons, comme avec tous les pèlerins que l’on croise, de nos aventures, de nos rencontres, de la pluie et du beau temps. Mais parmi ces quatre français, je me rappelle surtout de Christophe qui à la différence d’un pèlerin lambda, me surprend lorsqu’il indique qu’il se fait déjà 19 heures et qu’il aimerait bien prier avant de passer à table. Prier ? Je m’interroge et ne comprends pas vraiment où il souhaite en venir.

Comme beaucoup en pèlerinage, nous ne nous interrogeons pas naturellement sur les raisons d’un départ pour Compostelle. Savoir d’où vient chacun ou ce qu’il a entrepris avant se résume à une curiosité malsaine dont on préfère se passer. Mais assez rapidement, Christophe casse ce code et nous dévoile un peu de son histoire. A force de conversation, je comprends néanmoins qu’il fait parti de l’église. Je ne demande pas plus de détails, préférant écouter les anecdotes qu’il nous raconte.

A 19.30, Christophe s’est installé dans une chambre non occupée de l’albergue de Santa Catalina. Il sort de son sac l’attirail complet du prêtre. Un peu plus d’un kilogramme d’objets liturgiques, comprenant une aube d’un blanc très propre et très pur, une étole violette ornée d’une croix brodée avec du fil doré, un calice et une patène d’un métal aux apparences jaunâtres et vieillies, et enfin, un purificatoire et une bible. Pendant presqu’une heure, Christophe se charge de la messe, auprès de sa bande et de moi-même. D’une manière très sympathique, il propose une messe pédagogique. Il comprend que je n’y connais pas grand chose et préfère adapter son discours pour que je puisse suivre. J’apprécie le geste.

Nous dînons tous ensemble au bar de l’albergue de Santa Catalina. Après quelques bières et une pizza, nous partons nous coucher. Cette journée a été forte en rencontres.


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