Un bulletin vaut mieux qu’aucun

Je préférai le vélo au bulletin de vote. C’était dimanche dernier et aujourd’hui, à l’image de nombre de mes pairs, je me lamente sur la victoire d’un groupe dans lequel jamais, ô grand jamais, je ne me reconnaîtrai. J’explique pourquoi. Pourquoi je regrette et pourquoi, aux prochaines législatives, je me rendrai au bureau de vote.

📸 Les photographies publiées dans ce billet ont été capturées à l’argentique au cours d’une manifestation organisée dans les rues de Tours, le 28 novembre 2020, contre la proposition de loi « sécurité globale ».

Voyage, voyage :

Dimanche, je rentre à vélo d’un week-end festif. À nouveau, je m’émeus des méandres de la Loire, fleuve littéralement royal. Cette trace divine, tirée sur une terre que les hommes ajustent, constitue les vers d’une insondable harmonie.

Malgré le progrès qu’aucuns n’osent franchement dénoncer, ses rives demeurent sauvages, libres comme un livre aux lignes émancipatrices. Il me suffit d’un arrêt pour humer l’air ou capter les cahots de la rivière, pour chercher les aigrettes ou cueillir une poignée de fleurs, et finalement me sentir pousser des ailes.

Le cœur se synchronise alors à la contemplation, jaillissante comme le mont Gerbier-de-Jonc, placide comme le baiser limoneux de l’embouchure à l’Atlantique. Les eaux transportent avec elles histoire et géographie.

Arrosé de cette lumière, je me demande comment ses habitants peuvent basculer dans l’obscurité. À mon retour, la presse s’empare du sujet. Les gros titres sont intransigeants. L’extrême droite vient de remporter sa première victoire. Écrasante.

Je suis las d’un système dans lequel je ne crois plus. Je meurs d’écouter les palabres des politiciens confortés dans leurs caractères maniaques, harceleurs ou agresseurs. Ils promettent le meilleur, mais n’aboutissent qu’à l’hérésie. Le monde hurle cependant qu’une cuillère bien garnie engraisse leurs visages toujours plus joufflus.

Je me sens responsable de cette situation à cause de mon appartenance à cette génération individualiste, qui vit pour le confort de son nombril et non pour l’aisance globale de la société. Je m’inspire grossièrement de la désobéissance civile de Thoreau, faisant de mon monde un Walden que je ne voudrais quitter.

Je ne veux pas participer à cette machinerie. Je ne veux pas donner ma voix à des décideurs qui bafouent les droits des précaires, qui opèrent une écologie politique, qui s’arrosent d’enfantillages nauséabonds lorsque l’un d’entre eux brandit un drapeau palestinien au palais Bourbon, qui continuent de financer des guerres sous prétexte de maintenir la paix. Dimanche, je préférai simplement pédaler plutôt que de déposer mon bulletin dans l’urne.

Le résultat fut inévitable. Les Français parlèrent à mon insu. Ils glissèrent leur bulletin en faveur d’un beau garçon, soigneusement habillé, incarnant une jeunesse entreprenante et engagée. À écouter ses discours, on omettrait presque l’excentricité fasciste du parti dont il hérite.

Sur un plateau de BFMTV, Bardella affirmait en novembre 2023 que Jean-Marie Le Pen n’était « pas antisémite ». Est-il nécessaire de rappeler que Le Pen créa le Front National en 1972 en compagnie de Pierre Bousquet, ancien Waffen-SS ?

En 1986, le tribunal d’instance d’Aubervilliers condamna Le Pen pour « antisémitisme insidieux ». Un an plus tard, le Président du FN reprit au micro de RTL ses ignominies. Les chambres à gaz constituaient, selon ses mots, « un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ».

En janvier 2012, Marine Le Pen fut invitée au WKR-Ball, un bal traditionnel viennois organisé par des étudiants ouvertement affiliés à l’extrême droite. Selon Libération, les organisateurs du bal se composaient « de néonazis, d’antisémites et de racistes, […] qui rassemblent 4 000 nostalgiques dans une soixantaine de corporations pangermanistes, toujours interdites aux juifs et aux femmes ».

En 2015, le Front National rebattit les cartes. Jean-Marie Le Pen fut évincé du parti et Marine accentua sa politique de « dédiabolisation ». Un nouvel habillage recouvrit la vitrine du parti, qui se modernisa, devint plus abordable et sembla moins réactionnaire. Dans l’ombre toutefois, les incartades continuèrent de rappeler la profonde philosophie qui émanait de son idéal politique.

En 2024, l’émission Complément d’Enquête révéla l’existence du compte Twitter RepNat du Gaito. Actif jusqu’en 2017, il aurait été animé par Bardella, alors conseiller régional d’Île-de-France et fraîchement propulsé au poste de porte-parole du Front National. Le compte servait à diffamer les opposants politiques du FN, à vitupérer contre les médias ou à partager des messages à caractère raciste.

Malgré le changement de nom et l’assouplissement apparent des discours, les minorités sont toujours trempés de paroles répugnantes. L’immigration est justifiée par une xénophobie insensée. La « préférence nationale » – comprenez « La France aux Français » – demeure de mise. L’étranger, comme d’autres classes d’opprimés, se transforme en boucs émissaires. Et le Rassemblement National les vilipende pour justifier le mal-être sociétal qui flagelle le pays. Pis encore, ses partisans y croient. Dur comme fer.

L’extrême droite de l’échiquier politique continue de compter parmi ses membres des protagonistes aux idées ouvertement racistes, antisémites, islamophobes, homophobes, transphobes, et peut-être d’autres encore. Ils puisent dans la haine un intarissable combustible pour l’âtre enflammé de leurs élucubrations. Ils véhiculent des idées parfois archaïques. Ils sèment la peur et s’annoncent grands sauveurs.

Brèves de comptoir :

En 2002, une nation tout entière s’insurgeait des premiers résultats de l’élection présidentielle. Le Pen récoltait 16,86 % des votes devant Jospin et ses 16,18 %. L’accès au second tour de l’extrême droite surprit autant que la déchéance de la gauche. Dans les rues, les défilés défendirent une France humaniste et soudée. Sur les grands boulevards, on lisait des pancartes arborant : « Non au racisme » ; « J’ai honte » ; « F comme Facho, N comme Nazi » ; « Barrons la route au F-Haine » ; « Voter Le Pen, ça rime aryen ». Tout était dit. La rue s’insurgeait des idées dégoûtantes portées par l’extrême droite.

En 2024, la jeunesse se renouvelle et se confond dans le changement. Lassée des partis qui se succèdent dans un dédale de programmes infructueux, elle ne croit plus en rien. Le Rassemblement National, sous ses nouvelles coutures, demeure le parti n’ayant jamais exercé de fonction centrale au gouvernement. En jouant cette carte, elle espère simplement une vie meilleure.

Loin des discours délirants de Le Pen, la jeunesse se rue dans les bras de Bardella. Un reportage Arte se rend aux portes du Vélodrome pour sonder cette foule en liesse, fraîchement politisée. Elle danse sur des musiques branchées, dans un jeu de faisceaux lumineux et festif. Sur scène, Jordan présente bien. « Je l’aime », hurlent des jeunes femmes, mineures pour certaines. Lorsqu’il lâche son pupitre, elles accourent pour un selfie. L’une d’entre elles, avant de partager son émoi sur les réseaux sociaux, légende son portrait : « Bébé », accompagné d’un émoji cœur.

Devant le reportage, je suis éberlué.

Je ne cultive aucune connaissance du programme économique ou social du Rassemblement National. Il ne m’intéresse guère. Mes paragraphes précédents justifient amplement la raison qui me pousse à ne pas le parcourir. Nonobstant mon désintérêt à l’égard du monde politique, je garde la fervente conviction qu’une France belle est une France aimante, avec les siens ainsi qu’avec les autres. Qu’en aucun cas la conquête du pouvoir par un parti prônant la rancœur et l’inimité dessinera une solution viable et pérenne.

L’histoire enseigne sans ambages que la haine démantèle l’humanité, rendant l’atmosphère hostile et toxique. Malgré les crises, malgré les difficultés, appeler à l’extrémisme n’apporte guère plus qu’un pas de géant écrabouillant l’espoir. Se rattacher à de tels idéaux détruit la nuance. Il noie l’existence dans une stupidité incurable, alourdit la vue d’œillères opaques.

Demain, des enfants naîtront peut-être dans l’ombre d’un drapeau frappé d’une flamme. Les instances qui gouverneront les nouveau-nés n’hériteront des Lumières qu’une lueur agonisante, celle d’un souvenir que l’on caresse pour s’avouer héritiers de belles idées. La vérité deviendra digne de la « Double Pensée » expliquée par Orwell.

Les 30 juin et 7 juillet prochains, je monterai derechef sur mon vélo. Je n’irai pas me promener sur les bords de Loire. Je pédalerai jusqu’aux urnes pour déposer un bulletin. N’importe lequel, tant qu’il fait barrage au fascisme. Tant qu’il sauve mes idéaux. Tant qu’il sauve ma vision de la France. Libre, aimante et émancipée.

Merci pour votre lecture

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Commentaires
  1. Avatar de Arlette Gilquin

    je suis contente de l’avoir lu mais j’étais déjà persuadée, il faut voté pour garder ça liberté … je suis née en février 1944 et mes parents m’ont raconté et ensuite toujours ouverte à toutes les informations. Soyons solidaires pour garder une vrai démocratie.

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