Une crêpe à Riec

Crêperie Ma Douée ! à Riec-sur-Belon

Au mois de mars dernier, je me rends à Riec-sur-Belon dans la crêperie Ma Douée ! tenue par JB. Avant de dévorer l’une de ses créations, je visite les lieux qui accueilleront ma future exposition Sur les frontières du Ponant. Et doucement, entre conversations et gourmandises, je me laisse inspirer et esquisse dans les pages de mon carnet ce moment de partage.

📸 Les photographies de ce texte ont été capturées à l’iPhone. 
🔗Retrouvez Ma Douée !, la crêperie de JB.

Voyage, voyage :

Au crépuscule de l’hiver, le ciel arrose la Bretagne d’un langoureux soleil. Le bourg de Riec-sur-Belon s’agite au rythme de ses commerces vivants. Les badauds garent leurs véhicules au chevet de l’église Saint-Pierre, créature granitique ensommeillée au milieu d’une forêt d’ardoise et de granit. Une file s’allonge devant la boulangerie, une autre devant la boucherie. Entre-temps, les résistants aux messages électroniques se rendent à la « Ti poste » pour envoyer factures et lettres d’amour. Les bavards, quant à eux, s’orientent dès la sortie de leur rendez-vous à la banque ou à l’agence immobilière vers le tabac presse ou le café du bourg. L’édition 2025 du Paris-Nice diffusée sur les écrans électrise les conversations.

Je connais JB depuis bientôt dix ans, mais nos rencontres sont disséminées dans le temps. Sous sa casquette brodée main de la marque de son établissement, Ma Douée !, sa peau rendue diaphane par les ternes lumières de l’hiver breton ne trahit point l’expression radieuse de son visage. Au-delà du simple regard, l’esprit du jeune patron respire une amitié vive et sincère, endémique des territoires du Ponant.

À peine entré dans la crêperie, JB m’indique qu’il doit se rendre à la saucisserie des Rias, à 500 mètres de Ma Douée !, pour récupérer la commande qui agrémente le menu du jour. Sur la route, le jeune entrepreneur tend des mains comme un édile en promenade dans son fief. Riec-sur-Belon compte 4 000 habitants, ainsi la foule se connaît et les nouvelles se colportent aisément. « Riec n’est pas bien grand, tout le monde est client de la crêperie. Je ne peux pas me permettre d’écart ».

À travers ses mots, JB raconte aussi la vie de village et de communauté. Dans ces lieux qui luttent contre l’indifférence des grandes métropoles, chacun connaît le commerce de l’autre, ses projets, ses difficultés. Ces commerces, qui résistent à l’affront des grandes surfaces, cultivent une solidarité forte. Le petit commerce est toujours valorisé et l’artisanat local reste la pierre angulaire d’une œuvre en perpétuelle construction. Le lien tissé par chacun des habitants semble infatigable.

« Pourquoi Ma Douée ! pour une crêperie ? » demandé-je à JB. En breton, « Douée » signifie Dieu. Lorsque le patron était jeune enfant, « parfois turbulent » comme il le souligne, sa grand-mère s’exaspérait gentiment en implorant le Seigneur. « Ce nom est une manière de lui rendre hommage », conclut JB.

Nous récupérons la commande de la saucisserie, un sac de saucisses bio préparées avec des algues pêchées dans l’océan, puis nous retournons oisivement à la crêperie. JB appartient à cette génération d’entrepreneurs soucieux de la provenance de leurs marchandises. Les produits issus de l’agriculture biologique ne s’arrêtent pas un cahier des charges. Ils doivent répondre à une certaine délimitation géographique. « Où est l’intérêt de commander des produits bios s’ils sont exportés de l’autre bout du globe ? » m’interroge-t-il.

Avant de me rendre à la crêperie ce matin, JB recevait un producteur local de lait biologique qui transforme sa matière en glaces artisanales. Demain, il prévoit une coopération avec un agriculteur du Finistère qui produira l’entièreté du blé noir nécessaire à la préparation de ses crêpes. La farine sera moulue par un minotier de Douarnenez. Produire localement, même en conventionnel, limite finalement les émissions de gaz à effet de serre provoquées par la logistique des produits.

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À lire dans l’Agora :

Léa, la serveuse de l’établissement, fait vrombir l’aspirateur sur le parquet de la crêperie. La salle, qui peut contenter jusqu’à 90 couverts sur un service, bénéficie de la rénovation opérée lors de la reprise du commerce l’année dernière. Murs blancs immaculés mêlés de pans vert olive et par instants de revêtements boisés ; sol couvert d’un plancher d’essence claire ; mobilier moderne et épuré. Au fond, ouverte sur l’ensemble de la salle, l’impeccable cuisine sous hotte est équipée de trois billigs et d’une plancha. Une faïence vert d’eau recouvre les murs. Une affichette à la calligraphie japonaise rappelle le temps où JB gonflait les rangs d’une délégation française envoyée au pays du soleil levant pour défendre la gastronomie française. Pour conclure cette visite des cuisines, le patron jette une poignée de saucisses sur la plancha. Elles frétillent au contact des plaques hurlantes. Une légère fumée s’en dégage, l’odeur est exquise. 

À midi passé, Riec s’attable. Je suis installé face à JB sur une table disposée contre la vitrine. En cuisine, Camille, la sœur de mon hôte, prépare les plats du jour. Pour 13,90 euros, la carte donne le choix entre : une crêpe garnie d’une saucisse de Riec bio aux algues (celle de la saucisserie des Rias), de tomme de vache bio aux algues originaire du Morbihan et d’oignons de Roscoff AOP confits au miel ; ou d’une crêpe composée de Saint-Jacques fraîches arrosées d’une sauce armoricaine. Peu importe le choix, une salade verte accompagne l’assiette.

« On est dans le Finistère, ici, précise JB. On ne parle jamais de galette, toujours de crêpes ». Nos assiettes, complétées par la première proposition du menu, sont fumantes. Les crêpes, puisque mon verbe hérétique ne peut les qualifier de galettes, sont dorées de beurre salé. En bouche, les aliments combinés démarrent un récital universel. Bien que chaque ingrédient possède des propriétés propres, ils s’allient dans une valse à la mesure parfaite. La crêpe, à son premier contact avec la bouche, croustille. JB m’explique que la température des billigs est sciemment portée à 280 degrés. La crêpe cuit ainsi plus rapidement et se revêt, une fois garnie, d’une texture panachée de croquant et de fondant. Chaque ingrédient, saucisse, fromage et oignons, caresse le palais d’un mouvement singulier. Je me régale, mes paroles se raréfient.

En guise de dessert, nous dégustons tous les deux une classique « beurre sucre ». Délicieuse.

Je finis par demander à JB le secret d’une bonne crêpe. Il me répond, d’une voix qui respire l’évidence, que l’amour des bons produits permet de faire la différence. « Certains crêpiers confondent saucisses et chipolatas », illustre-t-il. D’autres prétendraient négocier leur blé sur le territoire alors qu’il est seulement transformé en France. Au sujet du sarrasin, la presse spécialisée expliquerait que la France importe jusqu’à 80 % de son sarrasin de zones comme l’Europe de l’est ou la Chine.

Dehors, le ciel se raffermit. Des nuages épais comme des navires flottent sur l’azur. La salle se remplit soudainement et JB s’efface de notre conversation au profit de ses clients qu’il chérit avec un amour paternel. Je le salue d’une dernière bise et il me rend son éternel sourire. J’enfourche ma monture d’acier pour gagner la gare ferroviaire de Quimperlé, pédalant promptement entre les bocages bretons avant que le ciel ne tombe sur la tête.

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