C’est une histoire qui commence au cours du printemps, sur les bords de Loire. Nous discutaillons des projets pour l’été à venir, admiratifs du fleuve flegmatique qui coule à nos pieds. Puis, dans ce paysage sans cahot, elle lance un pavé dans les eaux flegmatiques. « Tu as déjà pensé à te contracepter » ? Je souris vaguement, sans savoir quoi répondre. Parce que, le plus simplement du monde, je ne sais pas quoi répondre.
[Je ne suis ni médecin, ni scientifique. Les quatre épisodes disponibles ci-dessous racontent une réalité non romancée, un témoignage à destination d’une population qui désire en apprendre davantage sur le contrôle de son corps et de sa contraception.]
Récit
📓 Lire l’introduction
📘 Le premier épisode : La déconstruction
📗 Le deuxième épisode : La prise de conscience
📕 Le troisième épisode : Le spermogramme
📙 Le quatrième et dernier épisode : L’anneau
Ressources documentaires
En savoir plus sur la vasectomie • Commander un anneau • Se renseigner sur la contraception hormonale • Fabriquer son propre jockstrap • Planning Familial • Collectif les Remonté·e·s à Tours • Les podcasts des Couilles sur la table avec Victoire Tuaillon
Un pavé dans les eaux
Pendant que je me rassure maladroitement en bredouillant n’avoir jamais pris le temps de me renseigner, son regard se durcit. J’ai l’intime conviction qu’elle me juge. Elle me range dans cette case, celle de « tous les autres mecs ». Je suis un ignare vautré dans les détritus du capitalisme patriarcal, organisés par le phallus et l’argent, à penser que la contraception est une affaire strictement réservée aux femmes. Pire encore, à m’asséner qu’une contraception masculine est une camisole liberticide, contraignante et sans avantage. Elle n’a pas tort, je suis comme « tous les autres mecs ». J’ai grandi dans ce monde comme tel, et je m’en suis aveuglément nourri.
Au collège puis au lycée, je ricanais du préservatif qu’on déroulait sur une banane. C’était alors le seul moyen de contraception masculine qui était abordé. À la maison, le sujet n’était peut-être pas tabou. Seulement, ma mère prenait la pilule. C’était « normal », et je ne m’étais jamais demandé pourquoi. Et puis la vie avait suivi son cours, semblable au long fleuve tranquille sur lequel naviguent les hommes blancs, cisgenres et hétérosexuels à mon image.
Plus âgé, j’étais pourtant alerte des contraceptions de mes partenaires : pilules, implants ou autres stérilets. J’avais proposé : « Arrête les hormones, on pratiquera le retrait ». Mais, ô grand jamais, je n’avais pensé à passer à l’acte et à me charger de la protection. Je suis un homme, en quoi cette tâche m’incombait-elle ?
Voyage, voyage :
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Le début de la déconstruction
De retour à la maison, j’ouvre l’ordinateur. Dans les onglets de mon navigateur web, j’accumule les sites qui traitent du sujet. « Bordel qu’ils sont nombreux ». On y parle de verge et de scrotum, des mots que je devrais maîtriser, mais que je suis incapable de situer sur mon propre corps. Je viens de fêter mes trente printemps et je me connais autant qu’un adolescent parcourant sa silhouette devant le miroir.
Moi qui m’attache désormais à l’art des lettres et des mots, je m’estomaque du frêle vocabulaire dont je dispose à l’égard de mon corps. Plus philosophiquement encore, j’accule le problème : comment prendre conscience de mon existence sans disposer des mots pour me décrire ?
Dans le panel de la contraception masculine, je trouve une palanquée d’informations à l’égard du préservatif bien entendu, mais aussi de la vasectomie, de l’Andro-switch, ou encore de dispositifs hormonaux. Dans une vidéo bien réalisée, un médecin Belge explique comment, au cours d’une opération bénigne, il bloque puis coupe le canal déférent. Dans une autre, un tutoriel livre les meilleures pratiques pour la fabrication de son propre jockstrap !
Je suis pareil à ce gamin dans Le Monde de Narnia, qui vient de découvrir un monde au fond de son placard. Je traverse une plaine solitaire, parfumée d’un sentiment partagé entre la curiosité et l’effroi. « Je ne désire pas d’enfant, mais me couper les couilles ou porter un genre de string pour les maintenir au chaud, hors de question ». Tétanisé par les remparts a priori infranchissables de la masculinité toxique, je peine à digérer cette houle d’informations. Je préfère appeler à l’aide, j’appelle le Planning Familial.
Brèves de comptoir :
Un premier contact (au Planning Familial)
C’est dans une salle de la mission locale de Touraine, sise au quartier du Sanitas, que deux femmes me reçoivent. Dans une pièce aveugle, fébrilement éclairée par de piètres néons, les murs sont vides. Sur la grande table, un jockstrap jouxte un anneau en silicone (le fameux Andro-switch).
Face à ces deux femmes, je ne me sens pas à l’aise. La vanité me rattrape, oppressée par ma dite virilité. « Euh… J’ai consulté pas mal de sites internet… Il y a beaucoup d’informations, je ne sais pas trop par où commencer ». Je bafouille. « J’aime bien l’idée de l’anneau… Je vagabonde beaucoup, ça m’a l’air plutôt simple en termes d’hygiène ». Mes lèvres articulent péniblement. « Mais vous connaissez bien ? Ça fonctionne ? ». Or, je sais que ça fonctionne. Les témoignages pullulent et convergent vers la même conclusion : l’anneau, comme le jockstrap, et les autres dispositifs de contraception fonctionnent dans des mesures analogues aux contraceptions féminines.
Je crains que mon éternelle nonchalance surgisse et pollue l’ambiance, pourtant bienveillante. Surtout, la masculinité que je revêt nuance toujours mes idées. Je crois dur comme fer que ce sujet n’implique aucun sérieux, qu’il ne peut pas être abordé avec des femmes, que ce rendez-vous que je crois vivre comme une mise à nue relève de la peine capitale.
L’allégorie est la suivante : franchir les portes de la contraception masculine requiert l’abandon de ses couilles sur la console qui repose à l’entrée de la maison, à côté du panier où l’on jette ses clés de vélo et les pièces du fond de sa poche.
Je suggère que les deux bénévoles du Planning Familial sont habituées des introvertis dans mon genre, coincés dans leur schéma patriarcal, mal à l’aise à l’évocation d’un sujet qu’ils ne maîtrisent pas et qui touchent à leur prétendue virilité. Sous la lumière des néons, leurs visages demeurent ouverts, insensibles à mes maladresses. Elles insufflent une certaine sérénité. Au moyen de leurs interrogations honnêtes et sans préjugées, l’air devient léger. Je suis rassuré.
À lire dans l’Agora :
Je prends entre les mains l’anneau en silicone. « Il est blanc opaque comme du sperme. Drôle de couleur pour un outil qui est censé l’éliminer», pensé-je avec circonspection. L’extérieur est lisse. L’intérieur présente un aspect rugueux, destiné à améliorer le maintien une fois placé autour de la verge et du scrotum. « Tu dois le porter quinze heures par jour, tous les jours sans exception. Pour vérifier son bon fonctionnement, tu peux te faire prescrire un spermogramme tous les trois mois. Le médecin sera en mesure d’évaluer ta spermatogenèse et de t’indiquer si l’anneau fonctionne », concluent-elles.
Avant de quitter leurs locaux, elles me laissent les coordonnées du centre de planification de Tours, où une doctoresse tient une permanence hebdomadaire. Elles ajoutent aussi l’Instagram du collectif Les Remonté·e·s dont la bio indique : « Collectifs d’usager·é·s de contraception testiculaire à Tours et alentours ».
De retour à la maison, je suis soulagé. On ne m’a pas invité à abandonner mes couilles sur la console. Je conserve ma masculinité. Je sais ce qu’est une verge et un scrotum. Mieux encore, mon corps commence à devenir une entité à part entière.
Je comprends au travers de nos échanges qu’il est possible d’en reprendre le contrôle et de m’offrir la possibilité du choix. Autrement écrit : demain, je peux choisir de ne pas avoir d’enfant sans porter de camisole ni dépendre de la contraception de l’Autre.
J’ouvre à nouveau l’ordinateur et je pianote. Un rendez-vous est pris avec le centre de planification et je participe à un atelier organisé par Les Remonté·e·s au bar Le Quartier, avenue de la Tranchée.

📸 Photographies par Franck Le Quellec
🔗 Retrouver l’introduction et le reste du récit
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