2. La prise de conscience

Anneau contraceptif orange

Nous sommes au premier étage du bar le Quartier. Derrière les grandes fenêtres, l’avenue de la Tranchée descend jusqu’au pont Wilson. Les trams vont et viennent et déposent quelques passagers à l’arrêt Choiseul non loin d’ici. 

[Je ne suis ni médecin, ni scientifique. Les quatre épisodes disponibles ci-dessous racontent une réalité non romancée, un témoignage à destination d’une population qui désire en apprendre davantage sur le contrôle de son corps et de sa contraception.]

📓 Lire l’introduction
📘 Le premier épisode : La déconstruction
📗 Le deuxième épisode : La prise de conscience
📕 Le troisième épisode : Le spermogramme
📙 Le quatrième et dernier épisode : L’anneau

Je ne suis pas seul

Dans la pièce, les belles lumières de la fin de journée ne retirent rien au caractère intimiste de notre réunion. Au fond, des machines à coudre bruissent. Des mains habiles s’affairent à la confection de jockstraps. Des livres et revues comme Les contraceptés (Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain, 2021), Le cœur des zobs (Bobika 2022), L’homme sous pilule (Anne-Sophie Delcour et Lucymacaroni, 2022), et S’occuper de son sperme (Leslie Bhar, 2021), attendent la rétine de curieux lecteurs.

Le collectif Les Remonté·e·s nous accueille chaleureusement, verre d’IPA à la main. Tous les membres sont jeunes, au regard souple et éclairé par une belle intelligence affective. Les sourires complaisants sont légion et, promptement, une atmosphère familiale s’installe. 

Malgré le sujet a priori masculin, des femmes sont venues. Seules, ou avec leurs amis. « La contraception est un sujet qui se réfléchit à deux », précisera l’un des membres du collectif plus tard.

Ce soir, il s’agit surtout d’un échange. Dans le bourdonnement des machines à coudre, nous formons un conciliabule prêt à nous interroger sur les problématiques qui nous traversent. Debout, nous procédons à l’indémodable tour de table qui vise autant à nous dévoiler qu’à nous mettre à l’aise. 

« Ma copine porte le stérilet, narré-je à l’assemblée. J’ai pris connaissance récemment de la contraception masculine et j’ai envie de partager cette charge avec elle, d’autant plus que nous ne voulons pas d’enfant, elle comme moi ».

« Je mène une vie sexuelle plutôt intense, et j’ai envie de reprendre contrôle de mon corps. M’intéresser au moyen de contraception de mes partenaires ne suffit pas à me protéger », raconte un autre. 

« Moi aussi je suis comme toi, lui répond un autre. J’éprouve l’envie de reprendre contrôle de mon corps, d’être en mesure de savoir si je suis fertile ou pas ».

Chacun y va de son lot d’expériences personnelles. Dans cette réunion qui s’apparente à un groupe de parole, nous déballons à tue-tête. Soulagés, chacun se confie comme si des années durant, une force obscure avait empêché l’expression de ces interrogations naissantes. 

Notre flot de parole développe une indubitable prise de conscience. La contraception masculine ne relève pas du simple outil médical voué à empêcher la grossesse. Elle est une manière de se sentir plus à l’aise, avec soi et avec l’Autre. 

À l’issue de ces échanges bienveillants, nous comprenons que l’homme contracepté retire à la femme une charge mentale conséquente, portée par la plupart d’entres elles depuis la puberté. La contraception masculine pose de nouvelles cartes qui permettent le rééquilibrage du jeu. Elle emmerde les lobbys pharmaceutiques qui ne veulent pas investir dans cette technologie contraceptive née au cours du siècle dernier, testée et validée par plusieurs collectifs d’hommes engagés. 

Plus qu’un partage équitable entre les deux sexes, mieux qu’une répartition juste et équitable de la contraception, elle n’oblige pas la soumission aux produits imposés par les puissants. Au contraire, elle met en lumière d’autres solutions, toutes aussi pertinentes.

Voyage, voyage :

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Une histoire récente

Le collectif reprend la parole. Ses membres se présentent comme des mecs de tous les jours, animés par une cause qui leur plaît. Ils ne sont pas des ambassadeurs enjoués par une quelconque fougue commerciale. Ils contribuent à l’écriture d’une histoire contraceptive qui a commencé à la fin du 18e siècle.

Deux siècles en arrière, chez les hommes, les vasectomies clandestines se multiplient. Face aux moyens lacunaires, on anesthésie à grands coups de cocaïne pour se couper les canaux déférents à l’arrière de la cuisine. 

Par ailleurs, le collectif précise que ce contrôle des naissances devient une arme politique. En enrayant la procréation, les néomalthusiens de l’époque désirent limiter le gonflement d’une classe prolétaire destinée à alimenter la machine industrielle et les guerres planifiées.

En 1920, la France bascule à nouveau dans le conservatisme et une loi promulguée cette même année ratifie l’interdiction formelle de l’incitation à l’avortement et de la propagande anticonceptuelle. Les mouvements contraceptifs s’effondrent alors jusqu’à la loi Neuwirth de 1967 qui légalise la contraception.

Au cours des années suivantes, la parole se libère. Mai 1968 réclame la réappropriation de son corps. Les femmes scandent des « notre corps, nous-mêmes » ou « un enfant quand je veux si je veux ». Différents mouvements illustrés par le « manifeste des 343 » ou le « manifeste des 331 médecins » osent l’évocation du sensible sujet de l’avortement.

En 1975, Simone Veil prononce son discours devant l’Assemblée nationale et invite au vote pour la dépénalisation de l’avortement. À l’aube des années 80, les hommes commencent à se questionner sur leur masculinité. Ils créent l’ARDECOM (Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine) en 1979 pour tenter de développer des moyens de contraception entièrement masculins. D’autres publient en 1981 la revue Types, Paroles d’hommes qui contestent la masculinité et ses sujets sous-jacents, au travers d’articles qui s’opposent, entre autres, à la « virilité obligatoire ». 

Entre 1979 et 1986, des expérimentations hormonales et thermiques sont effectuées sur un panel de patients. Les résultats sont prometteurs mais les laboratoires, peu enclins à financer ces recherches qu’ils jugent peu profitables, ralentissent le progrès. Par ailleurs, l’explosion du virus du SIDA devient une problématique prioritaire (et tant mieux), abandonnant la contraception masculine dans l’oubli. Le mouvement s’essouffle.

En 2001, la vasectomie est rendue légale. Depuis, le sujet se développe. En 2010, en France, on comptait 1 908 vasectomies contre 23 306 en 2021. La contraception masculine devient un sujet réunissant de plus en plus d’hommes, toutes classes sociales confondues. 

Les témoignages à ce sujet se multiplient, comme les ouvrages que je citais dans les incipit de ce billet. Des groupes se forment à nouveau, comme Les Remonté·e·s. Ils sensibilisent à la contraception masculine et vulgarisent un sujet encore méconnu du très grand public.

À lire dans l’Agora :

La pratique

Pour nous expliquer le fonctionnement du jockstrap, puis de l’Andro-switch (l’anneau siliconé), Les Remonté·e·s tirent de leurs besaces une poignée de ces objets. J’eus la chance d’en manipuler lors de mon entretien avec le Planning Familial, alors je m’amuse du regard curieux des « novices ». On touche, on discute, on esquisse de timides sourires. « Comment je vais foutre mon bazar là-dedans ? » nous posons-nous silencieusement la question.

Les garçons du collectif passent à la pratique. Le jockstrap est une fabrication artisanale, cousue à l’aide d’une chaussette pour enfant et d’élastiques récupérés sur de vieux slips. Il se porte à même la peau, en dessous de ses sous-vêtements.

L’élastique, dans un trait sexy, redessine le galbe des fesses et permet le maintien du dispositif. « Quand je fais du sport, entend-on, c’est pas comme l’anneau. La transpiration ne fait pas tomber le jockstrap. En plus, le tissu n’irrite pas ma peau comme l’anneau », témoigne un utilisateur.

L’Andro-switch (l’anneau), justement, est fabriqué en silicone. Pour la majorité qui l’a essayé, il est agréable et discret à porter. D’autres témoignages moins enjoués évoquent de vilaines rougeurs. 

Pour l’emploi des deux, jockstrap ou anneau, on glisse quotidiennement et à raison de quinze heures par jour sa verge et son scrotum dans le dispositif. De cette manière, les testicules remontent proche du corps, dans les creux inguinaux, dont la température de 37 degrés Celsius est mortelle pour les spermatozoïdes.

Pour explorer la partie plus scientifique, Les Remonté·e·s se réfèrent au travail du docteur Roger Mieusset du CHU de Toulouse, ponte français de la contraception masculine. Selon ses études, le port d’un tel appareil permet, en théorie, d’atteindre la fertilité au bout de trois mois. 

Pour en mesurer l’efficacité, un premier spermogramme est à effectuer avant toute remontée testiculaire. Les résultats indiquent la concentration spermatique — comprenez le nombre de spermatozoïdes compris dans une éjaculation. Cet échantillon délivre une base comparative pour les prochains spermogrammes destinés à l’appréciation du fonctionnement de la contraception.

L’issue des trois premiers mois de port doit entraîner la concentration spermatique en dessous d’un million de spermatozoïdes par millilitre — en médecine, cette faible concentration est appelée oligospermie. En référence, les médecins préconisent une PMA (Procréation Médicalement Assistée) lorsque la concentration spermatique tombe sous la barre des cinq millions par millilitre. Par ailleurs, une concentration spermatique est jugée « normale » au-dessus de dix millions. Chaque homme étant différent, ce niveau de concentration arrive chez certains au bout de quelques semaines, chez d’autres jusqu’à neuf mois après le début du port. 

Le collectif poursuit et précise que le premier spermogramme initie une longue série. Pour apprécier le bon fonctionnement du dispositif, le test est à reproduire tous les trimestres. Il est remboursé par la Sécurité sociale et éventuellement par la mutuelle, si prescrit par un médecin généraliste.

Nos regards s’illuminent. Dans la pièce, nous sommes secoués par une vague de simplicité. « Ma meuf a commencé à prendre la pilule, tous les jours, à partir de treize ans, nous confie l’un d’entre nous, visiblement interloqué. Elle subit des maux de tête chroniques, elle a connu la prise de poids, elle se tape encore de vieux boutons d’acné et des sautes d’humeur. Alors qu’en fait, j’ai juste à foutre un bout de plastique autour de ma bite pour lui éviter tout ça ».

Toutefois, nous nous rappelons que la contraception, masculine et féminine, n’est pas un moyen de « lui éviter tout ça ». Même si elle se réfléchit en couple, elle demeure une décision personnelle, un outil propre à chacun. Elle ne doit pas mettre une relation sous pression. Elle ne doit pas devenir une arme de culpabilisation. Dans la vie d’un couple, chacun des deux partenaires peut opter, en même temps, pour la contraception. Il conserve ainsi le contrôle de son corps. 

Les femmes, avides de nos confidences, dodelinent et donnent raison à nos réflexions. Le propre de la contraception est de trouver un équilibre, un juste partage des forces et des ressources. En aucun cas la contraception ne doit aboutir à l’écrasement de l’autre. Autrement, nous tomberions dans un mauvais jeu, un retournement de situation qui ne changerait pas les règles mais uniquement la nature du meneur.

De retour à la maison, l’écran lumineux de mon ordinateur éclaire mon visage. Je cours sur Doctolib pour réserver un créneau avec mon médecin et m’enquérir d’une ordonnance. En quelques semaines, je me suis intéressé à un sujet qui frôlait jusqu’alors l’inconnu. J’ai sauté à pieds joints dans un univers. Le sentiment que j’éprouvais à la sortie du Planning Familial se renforce. Il plane dans l’air l’odeur de la satisfaction.

Anneau contraceptif orange

📸 Photographies par Franck Le Quellec
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