📔 Mercantour
📅 5 jours
🗺 97.8 kils
⛰️ 6 170 D+ / 5 190 D-
🥾 162 664 pas
🏕 3 nuits en bivouac et 1 nuit en abri
📍 Du lac de Trecolpas (06) au lac de Derrière la Croix (04), tous les deux dans le Mercantour
📸 Ilford FP4 Plus 125
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La carte ci-dessus représente le trajet effectué aux mois d’août et septembre, entre Menton et Thonon-les-Bains.
Voyage, voyage :
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📔 Mercantour/Le Boréon
Le temps d’une tarte aux myrtilles et je réalise l’erreur que je m’étais toujours promis d’éviter. Lorsque je retire le mode avion de mon smartphone et retrouve le réseau absent depuis mon entrée dans le Mercantour à Sospel soient quatre jours, je réceptionne plusieurs messages incendiaires de Jeanne. « Tu es où ? Tu vas bien ? Il ne t’est rien arrivé » ?
Je ne cesse de répéter à ceux qui m’interrogent : « Quel que soit l’endroit, n’oubliez jamais de prévenir vos proches de l’itinéraire que vous comptez emprunter ». Faites ce que je dis, non pas ce que je fais. Je deviens un vil démagogue, un membre de notre Gouvernement.
Je ne prévois jamais vraiment à l’avance mes bivouacs. En d’autres termes, je préfère dormir à l’endroit qui me convient le mieux. Au contraire, je m’arrange toujours pour connaître mon itinéraire sur les jours à venir. Itinéraire qui, selon mes propos, aurait dû être partagé à mon départ de Sospel. Et qui aurait évité un sentiment d’inquiétude. Puisque même le meilleur des experts de la montagne que je ne suis pas peut rencontrer le danger, la blessure, et parfois la mort.
Si tu lis ces mots Jeanne, je te prie de m’excuser pour avoir omis de t’envoyer mes plans pour les jours à venir. Promis, je ne recommencerai plus.
📔 Alpi Marittime/Bivacco Jacques Guiglia
À mon arrivée au bivacco Jacques Guiglia du côté italien du Mercantour, je suis accueilli par deux randonneurs transalpins, Juliano et Danila, entre quarante et cinquante ans, ne parlant ni français ni anglais. Aux prémisses, l’échange apparaît difficile. Mais lorsque Juliano me tend tout sourire sa bouteille de vin, la barrière de la langue devient illusoire. Le premier verre de vin, c’est finalement comme la première gorgée de bière de Philippe Delerm. « Ça commence bien avant la gorge ». On se salue, on se présente, on échange et la générosité nous amène à porter à sa bouche la douceur du raisin fermenté. Deux verres de rouge plus tard, l’éthanol commence à prendre ses quartiers. Je viens de basculer dans cette euphorie que tout le monde apprécie. C’est sympa l’alcool à 2 427 mètres.
Sans vraiment nous concerter, nous prévoyons de terminer la bouteille. En fait, nous suivons le pamphlet de Derlerm à propos de la première gorgée de bière : « On boit pour oublier la première gorgée ».
Tant bien que mal, nous passons la soirée à essayer de nous comprendre. Juliano parle peu mais je parviens à traduire qu’il est alpiniste et qu’il connaît les monts du Piémont comme n’importe quel alpiniste connaîtrait sa montagne. Danila, quant à elle, s’exprime un peu plus. J’ai d’ailleurs l’impression que le vin lui rappelle quelques notions de français. Mais le quatrième verre ne me permet pas de me souvenir. Note pour plus tard : gribouiller mon carnet, même quand je suis bourré.
Une fois la nuit tombée, nous tentons d’observer les étoiles qui apparaissent au-dessus de l’Argentera, la plus belle des montagnes italiennes selon Juliano. Les nuages apparus en fin de journée nous ont quittés. De notre hauteur, le ciel nous semble à portée de main. Nous pourrions presque caresser cette douceur étoilée du bout des doigts. Malheureusement, une légère brise se lève et rend la température peu supportable. Juliano grille l’ultime roulée de sa journée. Dans une ivresse coincée entre l’alcool et l’alacrité des montagnes, nous rentrons nous glisser dans nos duvets. Un simple et très franc « buona notte » suffit à l’assombrissement de nos paupières fatiguées.
À lire dans l’Agora :
📔 Mercantour/Lagaro
Ce matin, à l’approche de lac Sant’Anna de l’autre côté de la frontière, je décide de suivre l’itinéraire fourni par une joyeuse bande de randonneurs français. D’après leurs dires, le tracé éviterait de descendre en fond de vallée, par San Bernolfo, et de gagner ainsi pas loin de deux heures de marche.
L’itinéraire qu’ils m’indiquent est un équivalent de sentier Petite Randonnée en France. Sauf qu’au-delà de deux mille mètres, l’entretien du chemin ne semble plus être une priorité. À cette altitude, la végétation commence à disparaître, laissant place à des sentiers poussiéreux, des autoroutes d’éboulis et parfois quelques baraquements militaires en ruines. Rapidement, je me retrouve à suivre des pistes qui ressemblent plus à des pistes marquées par le bétail en transhumance que par les randonneurs. Quand je lève les yeux, j’observe avec extase les têtes, cimes et autres sommets aux noms toujours plus biscornus. J’abandonne derrière moi les cimes, la selle et la tête haute du Lausfer, le col et la roche du Saboulet, la tête Rougnouse de la Guercha, le pas du Bœuf, le col de la Guercha, et la tête de l’Autaret.
Les sentiers sont très escarpés. À plusieurs reprises, mon pied glisse sur des roches en équilibre. Les vingt kilogrammes que mon dos transporte ne me rassurent guère. J’avance lentement, avec la prudence qu’aurait un astronaute sur une lune juchée de poussières et de caillasses. Le dénivelé demeure conséquent, avec des montées aussi rudes et obliques que les descentes. Au bout d’une heure, je suis harassé. Je me demande pourquoi je me trouve ici, pourquoi je ne suis pas à la maison auprès de Jeanne à regarder des conneries à la télévision.
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Soudainement, au détour d’un rocher, cinq bouquetins montrent le bout de leurs cornes. Deux d’entre eux s’excitent et commencent un duel. Seul au milieu de pentes rocailleuses italiennes, j’assiste à un véritable octogone. Les cornes qui s’entrechoquent résonnent dans la vallée. Je reste planté là presque une demi-heure, le temps de reprendre mon souffle, de manger un bout et d’écrire quelques lignes. Las d’observer une bataille qui n’en finit pas, je reprends mes esprits et me remets en route.
📔 Mercantour/Lac de Vens
En pénétrant dans l’étang de rocailles que l’IGN nomme Baussayer, je croise une famille qui s’interroge sur mon itinéraire. « Je dors aux lacs de Vens ce soir », leur expliqué-je. « Tu verras, c’est plus beau qu’au Canada là-bas », me répond d’un air mélancolique la mère de famille.
De retour en 2014, la seule forêt canadienne dont je m’étais offert le luxe de l’exploration était une forêt de béton. Les innombrables tours qui se dressent dans le centre-ville de Toronto m’avaient laissé imaginer qu’au Canada, la nature n’existait que dans les peintures qu’exposent ses musées. J’en ai longtemps douté.
Je cherche, mais je ne trouve aucune ressemblance avec Toronto ici. Aucune trace de béton. Même pas un vestige d’une quelconque installation militaire. Le granit si cher au Mercantour est partout.
S’y ajoutent des lacs, les lacs de Vens, trois grandes étendues d’eaux superposées comme des bassins de rétention à une dizaine de mètres d’altitude chacun, dont les couleurs s’inspirent de la roche des montagnes adjacentes et des arbres qui s’élèvent vers un ciel bleu infini. S’y ajoutent des rivières aux allures de torrents, où les poissons qui nagent aussi agilement que les oiseaux fendent les airs trouveront d’ici quelques heures la Tinée en contrebas de la vallée du même nom. S’y ajoutent des cascades, conséquences d’un brûlant soleil qui en cette fin de saison fait fondre les derniers névés et rares glaciers ayant survécu à l’été. S’y ajoutent enfin des pins, rares mais intacts du passage de l’Homme, qui apportent au paysage cette touche canadienne, cette touche de liberté que l’âme et l’esprit de chacun épousent sans gêne ni contrainte.
Brèves de comptoir :
Naïvement, j’ai compris aujourd’hui que Toronto n’était pas le Canada, tout comme Paris n’était pas la France. Et Dieu sait combien je préférerais introduire la France par une visite dans le Mercantour et aux lacs de Vens plutôt que par une flânerie sur les Champs Elysées.
📔 Alpi Marittime/Ferrere
Je suis attablé au Refugio Becchi Rossi de Ferrere, petit hameau italien distant de cinq kilomètres de la frontière. Ici, pour la modique somme de douze euros, la cuisine du refuge transalpin propose une belle assiette de polenta maison accompagnée d’une galette de fromage dorée à la poêle et de saucisses baignées dans une sauce tomate, elle aussi maison à en croire le patron. C’est décidé, je passe commande. Ce sera d’ailleurs l’occasion de brancher mon électronique.
Alors que je déguste mon repas, je comprends à la lecture d’une carte trouvée sur la terrasse du refuge que je quitterai le Mercantour demain. Après plusieurs jours à arpenter ses sentiers escarpés, je me demande si les prochaines étapes — Queyras, Vanoise, et Mont Blanc notamment — ne seront pas plus simples.
Post scriptum : le gâteau au citron est un régal.
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