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Convalescence



Sur les frontières du Ponant 3/13Nous sommes le premier jour de l’hiver 2024 lorsque je hisse mon sac à dos pour partir découvrir la Bretagne. Dans ma besace, j’emporte l’habituelle triade tente-matelas-duvet. Dans mon agenda, je tire un trait jusqu’au premier jour du printemps prochain. Ce récit est un extrait de mon journal de bord envoyé au cours de cette pérégrination. Les photographies publiées ont été capturées par mes soins, en chemin et à l’aide d’un argentique chargé de pellicules Rollei 400S.

📍 Port-Navalo (56)
📅 16 jours depuis le premier jour de l’hiver
🥾 342 075 pas cumulés depuis le départ à Rougé (44)
📖 Hygiène de l’assassin (1992) de Nathalie Nothomb en lecture du moment
📮 L’extrait du journal dans son état original
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Enlisée dans l’angoisse des faux départs, la gare de Vannes ressemble à toutes les autres, dégueulant pléthore de visages clandestins réunis pour une brève étape. Les yeux rivés sur l’écran bleu, chacun patiente pour l’annonce de son quai. Le murmure du hall capitonne l’atmosphère d’un velours calme et réconfortant. Dehors, la pluie dilue le pavé dans d’innombrables flaques, miroirs d’un ciel bordé de chagrin. Les voyageurs accourent, attirés comme des aimants sous le toit de l’enceinte ferroviaire. Je suis comme eux, à couvert, prêt à sauter dans un train en direction de la maison.

Tout est intervenu hier. Giflés par des vents stridulants, les arceaux de la tente se brisèrent comme du verre jeté au sol. « Mazel tov », murmurai-je la voix édulcorée d’une certaine colère. Sous la pluie diluvienne, je m’empressai alors de plier mon camp pour terminer la nuit sous un hangar aux parois branlantes. Qui ondulait le plus à ce moment, la tôle ou mes sentiments ? À la lumière de la frontale, avant de m’engoncer dans le duvet, je remarquai sous mes chaussettes l’allure explosive de ma cheville droite. La boursouflure allait devenir ballon de baudruche. Bientôt, les clowns pourraient la triturer pour offrir chiens et girafes aux enfants avides de divertissements. Entre la déchéance des moyens techniques et humains, l’interruption de cette longue promenade ne relevait plus de l’option envisageable, mais obligatoire.

C’est avec un certain stoïcisme que je finis par accepter cette convalescence forcée. Le voyage est une succession de péripéties, nourries d’imprévus et de rebondissements. C’est une bête insatiable que l’on gave d’anecdotes gargantuesques. C’est aussi une chance dans mon malheur, puisque la Bretagne demeure facilement accessible. Comment gérer une telle situation en randonnant au cœur de l’Anti-Atlas marocain ou aux confins du cercle polaire suédois ? Avant mon départ, je parcourais des lignes de l’œuvre de Théophile Gautier, poète et romancier français du XIXe siècle. Il affirmait à l’égard du voyage :

« Ce qui constitue le plaisir du voyageur, c’est l’obstacle, la fatigue, le péril même. Quel agrément peut avoir une excursion où l’on est toujours sûr d’arriver, de trouver des chevaux prêts, un lit moelleux, un excellent souper et toutes les aisances dont on peut jouir chez soi ? Un des grands malheurs de la vie moderne, c’est le manque d’imprévus, l’absence d’aventures ».

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Le voyage devient ainsi un outil sous-jacent de la découverte. Ses écueils alimentent des batailles intérieures qui forgent le caractère. Ses gloires des lumières qui ouvrent le chemin. Son initiation, une méditation ésotérique.

Nonobstant, la convalescence n’empêche pas le mouvement. Qui oserait affirmer que mon voyage cesse aux frontières du Ponant ? Pour rejoindre la gare de Vannes, Marie et Matthieu répondirent à mon pouce levé et me confièrent, une fois en voiture, leurs aventures transsibériennes jusqu’à la capitale de la Mongolie. Dans mon carnet, je griffai ensuite : « Faire du stop jusqu’à Vannes, c’est aussi sauter dans un train jusqu’aux confins de l’Orient, chez les Mongols d’Oulan-Bator ». À bien chercher, le voyage est une ivresse permanente.

Voyage, voyage :

Après le train, je retrouve à Châteaubriant le confort des personnes que j’aime. Matthew Prior, poète anglais du XVIIe siècle, rédigeait : « Peu importent les beautés que j’ai vues sur ma route, ce n’était que mes visites ; mais tu es ma demeure ». Voilà la raison qui transforme l’acceptation de ce retour spontanée en un rebondissement bienvenu. Les « siens » bâtissent la plus belle des demeures qu’un nomade ne puisse jamais espérer. De plus, comme les saisons sont perturbées, les agarics prolifèrent dans les prés et leurs poêlées sont fabuleuses. Tout comme les soirées galettes qui les accompagnent et les projections d’œuvres du burlesque Quentin Dupieux qui les concluent.

Je suis désormais de retour sur le chemin. Ma cheville a dégonflé et une nouvelle tente remplace la catastrophée. Pour la première fois, j’ai ajusté mon sac à dos d’une chasse aux grammes pour tenter d’alléger le poids supporté par mes articulations. Entre autres, j’ai troqué mes gourdes en aluminium contre une vulgaire bouteille en plastique ; j’ai retiré une poignée de vêtements à l’utilité de non avérée ainsi que deux pochettes organisatrices ; puis d’autres petits objets futiles par-ci par-là. « Il n’y a pas de petites économies », entend-on parfois.

Depuis Le-Tour-du-Parc où je mis entre parenthèses mon itinérance, je retrouve les sentiers côtiers agréables, baignés de lumières métalliques et de froids bleus. Aujourd’hui installé dans un petit café très affable de Port-Navalo, je poursuis mon exploration de la presqu’île de Rhuys avant de gagner Vannes d’ici une petite semaine.

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