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Rose comme le granit



Sur les frontières du Ponant 10/13 — Nous sommes le premier jour de l’hiver 2024 lorsque je hisse mon sac à dos pour partir découvrir la Bretagne. Dans ma besace, j’emporte l’habituelle triade tente-matelas-duvet. Dans mon agenda, je tire un trait jusqu’au premier jour du printemps prochain. Ce récit est un extrait de mon journal de bord envoyé au cours de cette pérégrination. Les photographies publiées ont été capturées par mes soins, en chemin et à l’aide d’un argentique chargé de pellicules Rollei 400S.

📍 Côte de granit rose (22)
📅 66 jours depuis le premier jour de l’hiver
🥾 1 585 203 pas cumulés depuis le départ à Rougé (44)
📖 La facture (2014) de Jonas Karlsson en lecture du moment
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Je quitte Morlaix bercé des souvenirs d’agréables promenades dans ses venelles torturées, oubliant déjà mon incartade tellurique sur les crêtes rondes des monts d’Arrée. Me voilà de retour sur les frontières maritimes du Ponant. Après une poignée de forêts toujours luisantes de pluie, quelques sporadiques hameaux esseulés, je retrouve l’odeur iodée de l’océan agité. L’horizon n’a pas changé et demeure une ligne plate, tirée de part et d’autre à l’infini. Différence notable, mon regard porte cette fois-ci en direction du nord, à cheval sur des longitudes menant au Pays de Galles.

Je m’approche à pas de géant de la Côte de granit rose. Le récif change timidement de figure. La roche métamorphique se colore doucement. Lorsque le crachin m’asperge, je me réfugie dans les cafés où on me suggère d’assister à un coucher de soleil. On raconte qu’au crépuscule, le ciel s’embrase et se mêle admirablement aux lueurs chaudes de ces gros cailloux. Sorti de l’eau, le granit rose serait le squelette d’une créature romantique, intarissable histoire d’amour entre l’homme et les splendeurs de son environnement.

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Puis le crachin devient pluie. Les couchers de soleil, comme les levers, je ne les espère point. Les rideaux diluviens redoublent d’intensité. Une tempête se lève, la Bretagne bascule pour la énième fois de l’hiver en vigilance jaune, orange sur certaines localités. Des journées à plus de 20 millimètres de précipitations sont attendues, des vents violents aux rafales frôlant les 60 nœuds (110 kilomètres par heure) sont prévus. J’organise alors mon cheminement en fonction du ciel et de ses interminables colères.

Au port du Diben, je cherche refuge sous les casquettes branlantes de hangars à l’abandon. À Locquirec, dans de coquettes cabanes de bivouac financées par le département, je m’écroule de fatigue. Dans l’auberge de jeunesse de Trébeurden et ses balcons panoramiques, j’assiste aux affres de la tempête. En journée, je jette mon sac dans la guérite de douaniers désuète qui trône sur la pointe de Primel. À Plougasnou, je me fourvoie dans des cafés aux murs décrépits. Sur les vertes prairies qui colorent l’arrière-pays, je me dérobe dans l’ombre d’installations funéraires plus âgées que les grandes pyramides. À chaque fois, je lorgne le ciel d’humeur maussade. S’affranchir du tourisme de masse se paie au prix d’une promenade hivernale, indéniablement humide. Seul réconfort invitant l’oubli de mes bottes détrempées et imperméabilisées au moyen d’emballages de cacahuètes Menguy’s : les merveilles qui courent le long de la côte, façonnent le territoire et fascinent les géologues.

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À Trégastel, le ciel se décharge dans un insolent hurlement de grêle. Soufflées à une vitesse vertigineuse, les billes de glace martèlent le sol. J’accours encapuchonné aux confins de l’île Renote pour chercher mon salut derrière ses granits massifs. Lorsque je lève le regard, je les imagine tels de gros pains d’un sucre cuivré, l’océan y déroulant ses vagues comme une langue venue lécher ses coins érodés. Au bord des eaux agitées, les roches se superposent comme ces jeux en bois que l’on s’amuse à empiler. L’équilibre paraît si précaire que l’on pourrait croire que le retrait d’un corpuscule entraînerait un abominable vrombissement.

J’échoue dans l’échancrure d’un rocher rose, à la surface dure et râpeuse. Le sable qui soutient mes pieds est orange cramoisi. La grêle recouvre la grève d’un lit de larmes nacrées. Sous les hautes lames, des granits, toujours aussi roses, dressent des écueils contre lesquels la houle se fracasse. L’écume, blanche comme neige, s’évapore comme des souvenirs disparus. De cossues villas dominent le récif. Ici, les notables ont spolié la nature certes, mais dans une certaine intelligence esthétique. Leurs demeures séculaires empruntent des matériaux millénaires qui vivront encore bien des générations, à la différence des modernes verrues de parpaings et crépis qui gangrènent le littoral. Au large, l’archipel des Sept-Îles croule sous le poids des cumulonimbus. Il s’évanouit dans un spectre poisseux que seuls les rêves rendent accessibles. Le phare qui coiffe ses falaises dangereuses illumine les nuits et éloigne les dangers. Il agit comme un aimant sur les admirateurs du paysage qui s’évertuent à guetter son aura.

Enfin, le ciel s’éclaircit. Je trouve un sentier qui me ramène sur le continent. Une vendeuse de crêpes m’interpelle depuis sa petite roulotte rouge. « C’est pas un temps pour marcher ça », s’exclame-t-elle. Bien au contraire, rien n’est plus mélodieux que les humeurs du ciel pour admirer un tel milieu.

Voyage, voyage :


J’abandonne aujourd’hui la Côte de granit rose pour trouver les paysages champêtres qui écument le littoral des Côtes-d’Armor. Tréguier, Paimpol, puis Saint-Brieuc devraient m’accueillir lors des prochaines étapes. Toujours, je conserve un œil sur la météo. Lundi, un aquilon devrait souffler jusqu’à 90 kilomètres par heure. La suite de la semaine, sera-t-elle la promesse d’une amélioration ?

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